Notre travail s'inscrit dans le cadre d'un symposium qui s'intitule low-tech/high-art. Ici, low-tech ne signifie pas seulement les technologies manuelles ou primaires. Il s'agit plutot des technologies qui apparaissent avant la technique digitale. Ce symposium consiste a repenser de la relation entre l'art et la technologie non-digitale, afin de nous rendre compte si nous n'avions pas laisse echapper de nombreuses choses impotantes sur le plan esthetique et cognitive, en nous precipitant sur l'introduction du high-tech. Dans cette perspective, nous avons choisi les oeuvres de Rebecca Horn. En effet, Rebecca Horn porte sans cesse, des son premier carriere artistique, un grand interet aux diverses technologies : objets prothetiques dans les performances, machines cinetiques, videos, films, etc. Les objets, qui servaient au debut a l'extension du corps, se sont entretemps transformes en machines cinetiques qui figurent dans les films et les installations. En nous concentrant sur ses objets prothetiques et ses machines cinetiques, nous nous posons donc les questions suivantes. Y a-t-il des specificites dans son utilisation des technologies au niveau de la forme et du contenu, et par rapport a l'oeuvre des artistes masculins; en tant que femme, cet artiste pourrait-elle avoir la conception specifique de la machine; dans quel contexte historique des tehcnologies sa conception de la machine peut-elle se trouver? Nous avons commence par des sculptures corporelles et des performances qui accompagnaient toujours des objets prothetiques. Ces instruments sont destines en meme temps a isoler et a prolonger les membres du corps. Ainsi ces oeuvres revelent la correlation ente le corps humain et l'element mecanique, ainsi que le caractere rituel. La facon dont Rebecca Horn utilise ces instruments prothetiques evoque la pratique medicale du 19e siecle, tout en faisant penser egalement a un fantasme sadique. Quant aux machines cinetiques, elles sont tellement liees aux relations, aux contacts, aux emotions, si bien qu'on les considere comme un etre vivant. Ces machines, seduisnates et agressives en meme temps, symbolisent souvent l'opposition masculin/feminin. Avec une forme bien simple, animees par un mouvement assez simple, elles produisent une tension plastique etonnante et une sensualite profonde. De cet aspect vivant, les machines de Rebecca Horn s'inscrivent dans la tradition de l'automate si chere aux 17e et 18e siecles. Souvent ses 〈machines a peindre〉 sont-elles considerees comme un travail conscient sur la 〈Mariee〉 de Duchamp, et comme un subversion litterale des signifiants de la machine celibataire masculine. Mais Rebecca Horn s'exprime son sentiment mecontent de ce rapprochement par rapport a l'oeuvre de Marcel Duchamp. Elle insiste plutot sur son grand interet de Raymond Roussel, avec la facon dont il edifiait ces inventions si fluides en partant d'un procede verbal. Pour elle, l'enjeu, c'est le processus de la peinture et non la machine elle-meme. C'est aussi pour parodier un Jackson Pollock. Elle exteriorise en tout cas le desir feminin, tout en montrant que plasir et danger inextricablement lies. L'alchimie joue aussi un role tres important dans les oeuvres de Rebecca Horn. Elle utilise des materiaux symboliques en relation avec les machines cinetiques: des oeufs, du sulfure, du mercure, de l'eau, et ainsi de suite. Johann Andreae, l'auteur des 〈Noces chimiques de Christian Rosenkreutz〉, eveille chez Rebecca Horn des resonnances profondes: le rituel d'initiation, la transformation de la matiere, la circulation d'energie, etc. En somme, l'alchimie lui permet egalement de trouver et de developper ses propres langages afin de communiquer. Ainsi les technologies utilisees par Rebecca Horn s'inscrivent plutot dans la technique anterieure de la modernite, pour ainsi dire dans low-tech. Pourtant les formes et les fonctions de ses machines cinetiques n'ont point d'aspects low-techniques; au contraire, elles sont bien modernes avec une forme simple et minimale, non-mimetique. Donc, si elles semblaient appartenir a la technique anterieure de la modernite, ce n'est pas au niveau formel ou fonctionnel, mais c'est au niveau de l'expression et du contenu, ainsi que la conception meme de la machine. Ces machines ont une presence autonome, elles vivent dans leur propre monde, et parfois elles deviennnent folles. Dans aucun cas, il ne s'agit pas de machines parfaites. Les machines entretiennent entre elles des dialogues aux formes les plus diverses. Par la, elles apparaissent comme humaines. Cet aspect hybride de la machine annonce le monde du cyborg. Ce hightech, rendant floue la frontiere entre l'humain et l'objet inanime, ne considere plus la machine en tant qu'un simple instrument fonctionnel. Au contraire, il revendique une nouvelle relation entre la technologie et l'esthetique. Desormais la distinction moderniste de la technologie instrumenale et de l'esthetique non-instrumenale semble expiree. Si la reconciliation de deux domaines commencait a se realiser par high-tech, l'art de Rebecca Horn pourrait appartenir au futur anterieur. Car son art annonce le monde de high-tech avec low-tech, et, comme J.-F. Lyotard disait, elle traville sans regIes pour ce qui aura ete fait.