Samuel Beckett est considéré comme un écrivain qui nous a montré “une quête du soi” rigoureuse et exceptionnelle dans tous les domaines de son écriture, et aussi dans sa propre vie. En tant qu'un irlandais, qui a vécu une période de guerre civile causée par la relation conflictuelle anglo-irlandaise, il a été fort sensible au problème de l'identité. Au moment de la formation de sa personnalité et de sa vocation d'écrivain, c'est-à-dire dans les années trente, il semble que Beckett trouvait la tradition irlandaise “étouffante et insupportable”. Comme on peut le remarquer dans les premiers textes beckettiens, il essaye de rejeter tous les héritages autoritaires de son pays, pour se diriger vers un territoire confus, obscur et désespéré, mais libéré de toutes les contraintes. Beckett souffre aussi de mésentente avec sa mère, “May Beckett”, qui exige à son fils les valeurs traditionnelles et religieuses. Comme l'est son setiment vis-à-vis de l'Irlande, Beckett est partagé entre les deux désirs contradictiores, à savoir entre son éternel retour à sa mère et sa fuite de toutes les exigences maternelles. Cette conscience excessive pour la mère, amour et haine confondus, pourrait expliquer par le désir essentiel de retourner à l'origine, et de retrouver une identité harmonieuse. Face à cette impasse, Beckett trouve, durant son séjour à Paris, sa conviction littéraire sous l'influence de James Joyce. Ils sont tous les deux exilés irlandais à Paris, et ils ont le même sentiment ambivalent d'amertume et de nostalgie pour leur pays. Et ils partagent les mêmes goûts littéraires, à savoir leur faveur à propos de nouveaux modes d'expressions et de nouvelles formes artistiques. Mais Beckett essaye encore de trouver son propre chemin, sa propre mode d'écriture. Entre Dublin stérile et Paris dévorant, entre la mère possessive et un Joyce écrasant, Beckett a besoin d'un refugre, lieu neutre, où il pourrait prendre de recul pour s'objectiver. En ce sens, on peut dire que Londres a joué un rôle dans la vie de Beckett, plus qu'un exil transitoire. C'est à Londres qu'il s'intéresse avec passion à la psychanalyse, et surtout qu'il parvient à affronter soi-même, avec l'aide d'un psychanalyste, Wilfred Bion. Après ces expériences, Beckett finit par accepter que “l'obscurité que je m'étais toujours acharné à refouler” était en réalité la source même de son inspiration artistique.
Cette recherche de l'identité va encore plus loin, d'autant plus que Beckett écrit ses textes en deux langues, anglais et français, et qu'il les trauduit lui-même d'une langue à l'autre. Ainsi, Beckett serait le seul écrivain qui pratiquait le bilinguisme dans toutes ses possibilités, et qui le considérait non seulement comme “projet” esthétique mais aussi comme choix existentiel. Cette écritre en(tre) deux et cette manière singulière d'auto-traduction seraient l'aspect le plus manifeste et le plus concret qui nous montre à quel point Beckett s'acharne au problème de l'identité de l'être et de l'écriture. Mais si l'auteur oscille sans cesse entre les deux langues, c'est que, parincipalement, il reconnaît bien les limites propres du langage, à savoir, l'inefficacité et l'impuissance expressives de celui-ci, qui sont d'ailleurs irrévocables. Par conséquent, la réalité intérieure n'appartient ni à “Je”, ni à “I”, mais à nulle part, sinon, à l'entre-deux. L'auto-traduction beckettienne est une épreuve unique pour l'auteur et également pour le lecteur. Elle se distingue essentiellement d'une traduction ordinaire, parce qu'il s'agit d'une rencontre entre “Beckett auteur” et “Beckett traducteur”. D'où sa liberté et sa productivité vis-à-vis du texte originaire, et aussi un processus de ré-écriture.
Beckett reconnaît toujours que sa quête littéraire serait “une bataille perdue d'avance” ou “un échec”. Mais c'est justement par ces tentatives douloureuses et interminables de saisir un “moi” innommable et indicible, que Beckett nous montre, plus qu'un tel écrivain, le comble du problème de l'identité dans la littérature contemporaine.