Au point de vue de Baudrillard, il existe un double meurtre symbolique par rapport a l'image dans la societe moderne : violence de l'image, violence faite a l'image. Aujourd'hui tout prend forme d'image et le reel a disparu sous la profusion des images. Mais on oublie que l'image elle aussi disparait sous le coup de la realite. L'image est la plupart du temps depossedee de son originalite, de son existence propre en tant qu'image, et vouee a une complicite honteuse avec le reel―son exploitation a fin de documentation, de temoignage, de message (y compris les messages de misere et de violence), son exploitation a des fins morales, pedagogiques, politiques, publicitaires . La prendfin le destin de l'image, a la fois comme illusion fatale et illusion vitale. Les iconoclastes de Byzance brisaient les images pour en effacer la signification (la figure visible de Dieu). Sous l'apparence du contraire, et malgre notre culte des idoles, nous sommes toujours des iconocalstes : nous detruisons les images en les accablant de signification, nous tuons les images par le sens. La plupart des images actuelles ne refletent plus que la misere ou la violence de la condition humaine. Or, cette misere et cette violence nous touchent d'autant moins qu'elles sont sursignifiees―il y a la un contre-sens total. Pour que son contenu nous affecte, il faut que l'image existe par elle-meme, qu'elle nous impose sa langue originale. Pour qu'il y ait transfert sur le reel, il faut un contre-transfert sur l'image. Image qui temoignent, au fond, derriere leur objectivite, d'un desaveu profond du reel, en meme temps que d'un desaveu de l'image, assignee a representer ce qui ne veut pas l'etre, assignee au viol du reel par effraction. Dans ce sens, la plupart des images (mais aussi bien les images mediatiques en general, et tout ce qui constitue le visuel) ne sont pas de veritable images. Rien que du reportage, du cliche realiste ou de la performance esthetique, asservis a tous les dispositifs ideologiques. A ce stade, l'image n'est plus qu'un operateur de visibilite―le medium d'une visibilite integrale qui est le pendant de la realite integrale, le devenir-reel se doublant du devenir-visible a tout prix : tout doit etre vu, tout doit etre visible, et l'image est par exellence le lieu de cette visibilite. Se faire image, c'est exposer sa vie quotidienne, ses malheurs, ses desirs, ses possibilites―c'est ne garder aucun secret. S'exprimer, parler, communiquer inlassablement. Etre lisible a tout instant, surexpose aux lumieres de l'information. Cette expression de soi est-elle la forme ultime de l'aveu, dont parlait Foucault? En tout cas, c'est une violence faite a l'etre singulier, en meme temps qu'a l'image dans sa singularite. L'ultime violence faite a l'image, c'est celle de l'image de synthese, surgie ex nihilo du calcul numerique et de l'ordinateur, C'en est fini de l'imagination meme de l'image, de son illusion fondamentale, puisque, dans l'operation de synthese, le referent n'existe plus, et que le reel meme n'a plus lieu d'avoir lieu, etant immediatement produit comme realite virtuelle. Le pire pour nous, c'est justement l'impossibilite d'un monde sans retour-image. Il y a un danger mortel pour le monde reel, mais aussi pour l'image. La photo peut-elle faire exception au deferlement des images, et leur restituer une puissance originelle? Pour cela, il faut que soit mise en suspens l'operation tumultueuse du monde, que l'objet soit saisi dans le seul moment fantastique. En fait, il faut que ce soit le monde lui-meme qui passe a l'acte photographique―comme si le monde se donnait les moyens d'apparaitre en dehors de nous. Ecriture automatique de la lumiere, sans passer par le reel et l'idee de reel, la photographie serait ainsi, de par cette automaticite, le prototype d'une litteralite du monde affranchie de la main de l'homme.