Le siecle des Lumieres est une epoque ou l'on a commence a concevoir bien des figures caracterisant la culture francaise moderne. C'est bien dans ce siecle que doivent se ressourcer nos societes. De ce point de vue, il est significatif d'observer l'heritage culturel des Lumieres et de chercher a retrouver la source culturelle de notre temps. Dans cet article, nous avons tente de mettre au jour le processus de l'evolution d'une idee essentielle qui se trouve a la base de l'esprit des Lumieres : la tolerance. Notre etude repond a deux questions majeures : sous quelles conditions, au siecle des Lumieres, la tolerance devient-elle une valeur? Et comment, dans les temps modernes, a-t-on fait evoluer cette idee de tolerance? Pour ce faire, apres avoir tout d'abord tente de saisir le changement de sens de cette notion dans le dictionnaire, nous avons ensuite focalise surtout notre reflexion sur la tolerance selon deux philisophes : Voltaire et Paul Ricoeur. Selon le dictionnaire sur le mot tolerance, la negativite est au centre de la definition classique, alors que, depuis le siecle des Lumieres, cela s'est transforme en positivite. Comme le sens etymologique du mot, la notion de tolerance est definie au XVIIe siecle comme une ‘souffrance’ ou une ‘condescendance’. Cependant, des le XVIIIe siecle, la tolerance est apparue comme une attitude plus positive, l''indulgence'. Au XXe siecle, la tolerance accede au rang des vertus fondamentales et devient une attitude active animee par la reconnaissance des droits et des libertes fondamentaux d'autrui. On a converti la tolerance du passif a l'actif, du ‘supporter’ a l''accepter'. Parmi les philosophes des Lumieres, Voltaire s'est trouve au centre de ce changement de sens. La tolerance, c'est pour lui l'apanage de l'humanite et de la nature. Selon lui, nous devons tolerer autrui, parce que nous sommes tous petris de faiblesse et d'erreurs. Son argumentation se developpe sur trois plans. D'abord, par une vaste reflexion historique, il demontre que les peuples de l'antiquite sont plutot plus tolerants que les contemporains, et, que c'est a partir de Constantin que l'Eglise chretienne a ete inondee de sang par toute sorte de fanatisme. Voltaire revendique ensuite, sur le plan ethique, le droit a la recherche personnelle de la verite. Il soutient qu'il doit etre permis a chaque citoyen de ne croire qu'a sa raison, et de ne penser que ce que cette raison eclairee ou trompee lui dicte. Enfin, pour cette raison, il maintient avec force le deisme et la tolerance universelle. D'autre part, Paul Ricoeur revele que la tolerance moderne a commence a basculer du principe d'abstention au principe d'admission. Pourtant il remet en cause la limite de la tolerance d'aujourd'hui, qui demeure marquee au moins par l'indifference aux autres, resultant de la liberte admise indifferemment. C'est ici que surgit la question de l'intolerable chez Ricoeur. Il distingue trois concepts : tolerance, intolerance et intolerable. Le dernier pose une frontiere entre les deux premiers. Ricoeur parvient enfin a fonder une nouvelle conception de la tolerance qu'il appelle un consensus conflictuel, definissant un ideal type de la tolerance au plan culturel. Il s'agirait alors d'une veritable attitude d'acceptation du caractere complementaire d'opinions differentes. L'alterite serait percue comme une richesse, non comme un appauvrissement. En fin de compte, la tolerance pour demain pourrait se diriger vers le pluralisme creatif debouchant sur une attitude plus active.