Au Moyen Age, deux courants existent. Si Guillaume de Lorris, dans la première partie du Roman de la Rose, se fait le défenseur des femmes, Jean de Meun, dans la seconde, se révèle misogyne et brocarde avec virulence cet être faux, vicieux et menteur. Le chancelier de l'Université Gerson et Christine de Pisan lui reprochent sa malveillance. De nombreux auteurs se sont disputés au sujet des femmes : en 1513, Tiraqueau avec son oeuvre De Legibus connubialibus s'oppose à Amaury Bouchard et son Apologie du sexe féminin en 1515. De même, Cornelius Agrippa défend les femmes dans Précellence du sexe féminin en 1529, alors que Gratian Dupont se montre antiféministe dans Controverses des sexes masculin et féminin en 1534.
La publication du Tiers Livre se rattache à une grande querelle qui a passionné les esprits, de 1542 à 1550, et qui a divisé des écrivains français. Il s'agit de la “Querelle des femmes”, qui trouve dans l'apparition de L'Amie de court de La Borderie, puis de La Parfaicte Amye, en 1542, l'occasion de se rouvrir un débat entre les défenseurs et les adversaires éternels du sexe féminin. Les ouvrages pour ou contre se succèdent.
Cette “Querelle des femmes” portait sur la nature des femmes. On distingue en la matière deux thèses opposées qui se maintiennent durant le Moyen Age et la Renaissance. La première, de tradition gauloise, développe dans l'ensemble des vues négatives sur la nature des femmes. Le seconde, qualifiée de tradition idéaliste par Abel Lefranc, sublime au contraire la femme.
On a dit que Rabelais est un partisan de la tradition gauloise. Dans la “Querelle des femmes”, il ne semblait pas être du côté de la femme. Dans cette tradition, la femme manque de sagesse. Elle est criarde, mal plaisante, bavarde et acariâtre. Chez Rabelais, elle est encore hypocrite, inconstante, toujours désireuse de se saisir du fruit défendu et de connaître. Tantôt la femme est une excellente créature, tantôt un animal dangereux, lascif, arrogant, n'en faisant qu'à sa tête. Ces rapprochements montrent que Rabelais est bien loin d'avoir dépouillé en lui l'homme du Moyen Age. C'est la culture, ce sont les idées médiévales qui ont présidé à sa formation première.
A notre époque, la réputation de Rabelais comme antiféministe date de l'étude d'Abel Lefranc. Celui-ci fonde son jugement principalement sur l'avis avancé par François de Billon dans son Fort inexpugnable de l'honneur du sexe féminin de 1555. Si Rabelais était bien le plus t ine des misogynes, pourquoi son nom n'est-il pas évoqué plus s s snt dans la controverse? C'est essentiellement dans les discours de Rondibilis qu'il faut chercher des arguments pour défendre une pareille thèse. Mais nous ne pensons pas que les vues de Rondibilis sont antiféministes ou misogynes selon les critères de l'époque de Rabelais. En plus, nous ne croyons pas qu'il représente dans un sens tout particulier les véritables idées de Rabelais. Il est bien clair que Rondibilis n'incarne pas l'antiféminisme ou la misogynie. Son rôle n'est pas de faire valoir une opinion antiféministe outrée comme contrepoids à un féminisme extrémiste chez Hipothadée.
En effet, l'antiféminisme est mort au XVIe siècle, mais le féminisme de l'époque l'est aussi. Rabelais est hostile à la misogynie, à la misogamie et à la stérilité autoritaire des ordres monastiques, mais il ne va pas pour autant chercher du renfort dans les rangs des agités de la propagande féministe. Il démontre en peu de mots ce qu'il pense de ce genre d'arguments, quand, dans le Quart Livre, il présente Panurge comme féministe, rôle dans lequel il s'attire le mépris de frère Jean. L'attitude de Rabelais se justifie.
Dans le roman rabelaisien, les anecdotes ou les épisodes sur la femme-objet sont très nombreux. Surtout l'auteur a raconté des histoires égrillardes, il a fait de grossières plaisanteries sexuelles et érotiques, voire obscènes. C'est pour cette raison que la plupart des femmes ont pensé qu'il était misogyne. En 1533, la Sorbonne a condamné Pantagruel pour obscénité. Mais les paroles grossières dérivent de la littérature satirique du Moyen Age. Il est évident que Rabelais a écrit selon le point de vue d'un homme et dans la tradition de l'Eglise à l'époque médiévale.
Montaigne a écrit dans ses Essais : “Entre les livres simplement plaisants, je trouve, des modernes, le Decameron de Boccace, Rabelays et les Baisers de Jean Second, s'il les faut loger sous ce titre, dignes qu'on s'y amuse.” C'est à cette époque qu'on commence à croire que Rabelais n'est qu'un écrivain agréable, qu'un écrivain drôle. En outre, Ronsard et ses membres de la Pléiade avaient la plus grand respect pour Rabelais, ils savaient l'apprécier à sa juste valeur, surtout du Ballay et Baïf.