Dans la mesure ou la force vitale d’une oeuvre artistique concerne le desir inconscient, ne serait-elle pas in-analysable, comme le pense J.-F. Lyotard. Pour lui, dans sa forme plastique, cette force n’aboutit pas a proprement parler a un sens ou une signification : c’est en effet un champ du 《figural》, selon sa denomination, qu’on traverse seulement sans pouvoir en saisir ou analyser la dynamis. Nous nous sommes neanmoins employee a tenter de la cerner, car elle nous semble constituer la raison d’etre de la poesie moderne notamment depuis Arthur Rimbaud ainsi que celle du cinema. Remettant au jour la puissance magique et le 《charme》 chez Rimbaud, Jean Cocteau a considere cette 《poesie》 - dans le sens de la qualite poetique pure - comme essence du cinema. A. Gance et J. Epstein ont egalement voulu continuer l'esprit novateur ou l'exploration sensuelle de l'inexprimable chez lui ; en se mettant dans cette orientation artistique de leurs ai?nes, les cineastes d'aujourd'hui (tel J.-L. Godard, L. Carax) essaient de reprendre sa volonte creatrice vers l'inconnu. En particulier, on remarque que les images de Carax sont constituees d'une nouvelle energie et d'un elan vital, comparables aux matieres invisibles que rendent visibles sous nos yeux les poemes de Rimbaud. Il s’agit en commun d’une autre poetique, fondee sur l’《intimite extravertie》 (l'expression de Serge Daney), l'intimite qui explose d'une facon tres expressive (non verbale) vers l'exterieur tel l'ecran ou une surface imaginaire ecranique. Dans cette perspective, nous avons essaye d’observer une action de percevoir et de creer un univers non transcendant et a la fois 《hors du monde》 (sur le plan de la revelation d'une beaute inconnue en ce monde) du poete Rimbaud et d’en discuter ici : ses dispositifs poetiques recurrents dans Illuminations - l’espace noir allume, la neige polaire, le marbre blanc, la surface de l’eau, la rosee sur des petales de fleurs, par exemple - cessent de rester des mots pour etre, devant nous, comme un ecran inoui, c’est-a-dire un nouveau fond artistique. L'operation poetique faite par ce mecanisme 《image》 ne nous semble, a vrai dire, pas loin du cinematographe. Cette 《ecriture projective》 et phenomenale vise avant tout la prise vivante de l’emotion brute et de la 《vraie vie》. Selon notre observation, la naissance des images chargees de force vitale et d'emotion ne tiennent pas chez Rimbaud seulement a un desir impulsif, mais aussi a la 《sensation》 eveillee, et meme a un choix artistique. Chaque objet, medite par le poete et unifie a son songe, se revet au fur et a mesure d’une simplicite totale et d’un grand affect mouvant, 《s'eveille》: 《se mettant en avant》 vers une surface magique (《puits des magies》 selon lui), l'image (bild) se forme dans la logique de la sensation ; le propre sens poetique en nai?t. A ce moment, la sensation intense comme la nouvelle 《vision》 n'est point passive, mais la plus active (le mot 《voyant》 serait au fond celui qui percoit). Ainsi cette force vitale insaisissable nous laisse-t-elle une possibilite d’approche analytique. Rappelons de surcroi?t ce point: a la base de la creation rimbaldienne, se trouve une decision nette du changement absolu ; sa 《vision》 et ses images ne peuvent apparai?tre qu'en brisant tous les cliches esthetiques et existentiels. La vigueur poetique jaillissant de ses images n’est pas gratuite, mais elle vient d'un 《travail》 hautement conscient. Il nous fallait alors mettre en relief cette dimension visuelle peu exploree chez Rimbaud, a travers la notion de 《poeticite》 notamment cinematographique. Ce terme se veut caracteriser la vigueur poetique et la nouveaute visuelle en mouvement qui sont distinctes de l'esthetique pictural.