Nous ne pouvons nous empêcher de vivre une civilisation, tant que la fin de la planète ne nous semble pas inéluctable. Et nous ne pouvons nous soustraire à l'attraction d'Eros, tant que l'instinct de préservation de l'espèce ne disparaît pas. L'Eros et la civilisation ont une relation contradictoire pour les uns, complémentaire pour les autres. Georges Bataille et Herbert Marcuse sont parmi les intellectuels qui ont le plus profondément étudié la relation entre l'Eros et la civilisation au milieu du XXe siècle. Bataille étudie l'identité de l'érotisme dans ses deux chefs-d'oeuvre anthropologiques, L'Erotisme et Les Larmes d'Eros, et souligne l'importance de l'érotisme à la lumière de «l'économie de la dépense» dans La Part maudite, que lui-même a considéré comme la plus importante de ses oeuvres. Marcuse a consacré sa vie à la présentation de Hegel et de Freud aux Etats-Unis en écrivant Raison et révolution, Eros et civilisation et L'Homme unidimensionnel. Eros et civilisation cherche à proposer une alternative à la crise de la civilisation moderne en unissant Marx et Freud. Bataille et Marcuse sont opposés l'un à l'autre, dans le sens où le premier a mis l'accent sur la folie, le second sur la raison. Il est donc significatif que tous deux aient abordé un même thème à la même époque, dans des livres aux titres similaires : Eros et civilisation (1955) et L'Erotisme (1957). Cet article a pour but de comparer le regard de Bataille et celui de Marcuse sur l'Eros et la civilisation et de repérer, par là, la place que l'Eros prend et doit prendre dans la civilisation industrielle moderne. Nous avons divisé cet article en deux chapitres. Le premier chapitre éclaire deux faits : le fait que le concept de travail et celui de mort interviennent nécessairement dans l'érotisme de Bataille et le fait que l'érotisme comme «dépense improductive» aide à perpétuer la civilisation. Le deuxième chapitre examine ce que sont la «répression fondamentale», la «sur-répression», le «principe de réalité» et le «principe de rendement», quelle déchéance a suivie la civilisation, quelle est la méthode pour retrouver l'harmonie entre l'Eros et la civilisation. L'essentiel de la conclusion est de mesurer la diffrérence, la signification et la limite que font voir la pensée de Bataille et celle de Marcuse.