La philosophie de Bergson et celle de Deleuze, qui n’ont bien sûr pas vécu à l’ère du numérique, constituent la base des réflexions permettant d’expliquer la réalité virtuelle numérique actuelle. Cette étude vise à rectifier de manière critique la vision de nombreux théoriciens prospectant la réalitévirtuelle en s’appuyant sur cette philosophie, leur vision consistant àinterpréter la virtualité comme une dimension irréelle. En considérant que la virtualité existe sous la forme d’une réalité potentielle et connaît un mouvement d’actualisation, cette étude cherche donc à démontrer que la virtualité est déjà devenue réalité.
Chez Bergson, la mémoire existe sous une forme virtuelle, c’est-à-dire que toute mémoire qui n’inspire pas notre perception, existe sous la forme d’un dynamis non actualisé. Inversement, toute mémoire existant sous la forme d’une virtualité peut être actualisée uniquement lorsque s’exerce la perception. Cependant, elle est déjà devenu réelle, c’est-à-dire une « réalitédu virtuel».
Chez Deleuze aussi, l’image relève toujours d’un mouvement d’actualisation. Ceci correspond au processus de «durée d’enchaînement des hétérogénéités» évoqué par Bergson. Pour Deleuze, l’image du simulacre constitue une «répétition de différences». En effet, Deleuze considère que les éléments préexistants sont actualisés fréquemment en se reconstituant, en se réajustant et en générant d’innombrables différences et cela, grâce à un événement particulier, soit un point aléatoire. Par conséquent, le simulacre de Deleuze demeure à l'image-mouvement De nos jours, on acquiert une expérience de la réalité virtuelle à travers la transformation de bits immatériels en quelque chose de matériel (donc en une réalité) grâce à leur actualisation. Dans ces expériences, la réalitévirtuelle (VR) et la réalité complexe (MR) ou la réalité virtuelle et l’espace virtuel restant entremêlés, dans la plupart des cas, il est impossible de distinguer leurs frontières. Par ailleurs, la distinction entre l’«immediacy» et l’«hypermediacy» demeure parfois assez floue en fonction du nombre de médias intermédiaires. La réalité virtuelle devient un univers que l’on peut rencontrer par intuition (Bergson) ou à cause de la schizophrénie (Deleuze).
Notamment, pour Deleuze, la réalité virtuelle ne fait pas partie du domaine de l’«être», mais constitue un point de contact où nous heurte l’événement appartenant à la dimension du «devenir» qui ne peut jamais être ni reconstitué ni délimité. De plus, bien qu’elle soit largement transparente dans la mesure où elle est réelle, la réalité virtuelle demeure opaque parce qu’il s’agit d’une existence infiniment potentielle dont il est difficile de prévoir l’actualisation, comme tel est le cas du pli, de la multiplicité, de l’oeuf ou du «corps sans organes». Pour cette raison, nous redéfinissons la réalitévirtuelle numérique comme un réel translucide, soit un mélange de transparence et d’opacité.
Ce réel translucide est un univers positif en évolution constante. Notre nouveau corps prend place dans la réalité virtuelle. Il s’agit d’un corps translucide impliquant le corps transparent de Bergson (dans la mesure où il constitue le sujet d’une expérience concernant la durée) et le corps opaque de Deleuze (dans la mesure où ce corps, en tant que sujet schizophrénique,est déplacé par autrui).
En conclusion, parce que Bergson et Deleuze ont continué à mener des réflexions ontologiques même s’ils n’ont guère cerné de manière concrète la réalité virtuelle, on peut considérer que ces philosophes ont contribué àétablir la base des réflexions essentielles sur la réalité virtuelle, comme par exemple, le «réel potentiel» ou la «réalité du virtuel» et le «sujet schizophrénique», éléments essentiels de nos jours alors que les technologies numériques se sont largement répandues.