Critiquant les psychiatres européens d'avoir mis l'accent sur le défaut physiologique racial, Frantz Fanon voulait démontrer que le ‘défaut mental’des Africains ne provient pas d‘une tare innée, mais des séquelles coloniales. Pour présenter des preuves ‘scientifiques’ aux détracteurs, il a étudié durant sa vie la relation entre la politique et la psychologie dans les pays colonisés. Il a d'abord été profondément marqué par Octave Mannoni et sa théorie coloniale. Car celui-ci, riche de plus de vingt années passées dans Madagascar colonisé, fut l'un des premiers à envisager un point de vue psychologique envers l'état colonial. Pourtant Mannoni n'a pas complètement réussi à échapper au piège orientaliste enraciné dans la mentalité occidentale. En fait, il développe une psychologie de la colonisation alors que Fanon veut établir une psychologie de la décolonisation. Néanmoins, Mannoni fut un des intellectuels à se dresser contre le colonialisme. Dans sa Psychologie de la Colonisation, il a insisté sur le fait que la colonisation a influencé le colonisé tout autant que le colonisant, ce qui a lancé une grande discussion sur la question dans le monde entier. Il était tellement à l'avant-garde dans ce domaine qu'il fallut attendre la publication en 1971 d'Anthropology and the Colonial Encounter(Talal Asad)pour que le débat se poursuive dans les pays anglophones. Par rapport àl'ambiguïté de l'attitude théorique de son devancier français envers la colonisation française, Fanon restait très déçu. D'ailleurs, la plupart des intellectuels francais de gauche ne remettent guère en cause la colonisation quand il ne l'ignore pas complètement. C'est pourquoi, tout en s'efforçant de trouver une théorie applicable à la situation coloniale sans avoir recours aux théoriciens européens tels que Freud, Marx, il essaie de découvrir un moyen de décoloniser l'esprit des Africains. Pour cette décolonisation de l'être, Fanon demande à ses compatriotes de cesser d'imiter les Européens. Par revanche, damande-t-il, il faut être un Noir. Cela ne veut pas dire qu'il soutient la négritude africaine qui présuppose un passé nostalgique où la cuture africaine serait intacte. Ce qui compte, c'est alors une attitude d'acceptation de la différence culturelle. C'est cet espace 'in-between' -pour reprendre un terme de Homi Bhabha - entre des cultures différentes qui nous permet de nous retrouver dans une perspective marginale et de renouveler l'identité culturelle évoluant au fil du temps.