Michel Tournier montre, d'une part, dans La goutte d'or son aspiration au retour à l'origine sans image, comme la goutte d'or qu'Idriss récupère à la fin du roman symbolise la virginité et le monde sans image. Tournier montre, d'autre part, qu'on ne peut pas vivre sans image dans notre société de consommation et de médias. On peut évoquer en ce sens Jean Baudrillard qui affirmait que, dans notre société actuelle, le simulacre a remplacé l'original. Idriss, un jeune Saharien, subit un véritable choc et perd son identité en se confrontant à la civilisation matérielle, monde de l'image par excellence. En effet, Tournier donne à réfléchir sur les dangers que véhiculent les images, le moyen d’en lire les signes et de les y figurer.
Tournier propose de lire les signes dans l'image en s'appuyant sur l’Orient, la calligraphie, le silence, l’oreille attentive, par le trajet d'Idriss, de Tabelbala à Paris et l'épisode de «la Reine blonde». Chez Tournier, lire les signes dans l'image, c'est lire l'esprit invisible et entrer dans l'espace ouvert qui consiste en de nombreux signes, en se libérant de la pensée uniforme. L'image peut donc être un signe mobile et récepteur au lieu d’être un signe fixe et émetteur. Une telle pensée chez Tournier correspond au «nomadisme» de Gilles Deleuze, qui signifie un mode de pensée aléatoire, intuitif, libre, qui suit les lignes de fuite et est dans Tout. Chez Deleuze, les signes et les signes au temps ressemblent aux «événements» inattendus qui s’acheminent vers leur devenir. Ainsi, l'image peut être le «simulacre» qui recèle une puissance positive et immanente en niant l'original et la copie, le modèle et la reproduction, à ceux qui savent lire les signes.
Tournier propose indirectement de figurer les signes dans l'image par le trajet d'Idriss et l'épisode de «Barberousse ou Le portrait du roi». La méthode de travail de Keristine sous-entend le refus de la représentation et la réalisation de la potentialité qui permet les interprétations multiples. Keristine accomplit la vaste tapisserie qui saisit l'affinité profonde du visage du roi avec le paysage d'automne scandinave, en regardant une ébauche de son visage qu'Ahmed a peinte. Une telle pensée correspond à la théorie de Deleuze sur la sensibilité et l'art. Deleuze souligne la tâche de l'artiste comme capture de la force dans le procès qui passe de l'excitation de la sensibilité à la genèse de la pensée, en opposant à la tâche de l'artiste comme représentation que Platon avait affirmée.
Tournier considère son roman comme un «manteau d'images» qui revêt une vérité métaphysique. Sa réécriture des mythes et son insertion de contes dans le roman relèvent d’une grande exigence. Son roman est basé sur une histoire déjà connue de tous, et nous y trouvons de nombreuses similitudes avec celle de son prédécesseur. Cependant, son roman polyphonique semble repousser l'échéance du sens et initier le lecteur à une quête. Il permet donc au lecteur de compléter les interstices du roman. En somme, Tournier, inventeur d’histoires, connaît bien le moyen de figurer des signes dans ses œuvres, en faisant se croiser la philosophie de Deleuze.
Nous espérons que notre analyse sera significative, et comme il le mentionne «un livre n'a pas un auteur, mais un nombre indéfini d'auteurs».