Faut-il avoir recours aux signes qui trahissent le plus souvent les vraies intentions afin de les transférer à ceux qui les écoutent ou les lisent ? S’il s’agit de la défectuosité du signe, comment nous la réparerons ou la pallions ? Aussi Rousseau pose-t-il des problèmes non seulement sur la fonction des signes, mais aussi leur origine d’où pourrait surgir la nature des signes primitifs, cachées et dissimulées sous les caractéristiques des signes dont nous nous servons actuellement. Les signes, moyen de transmettre des idées qu’on conçoit dans l’esprit à ceux qui les reçoivent et les déchiffrent, sont toujours inexacts, infidèles et inefficaces. Il faut donc trouver une autre façon de se communiquer avec confiance. Comme tous les auteurs sensibles au pouvoir du signe, Rousseau craint l’imperfection des signes en même temps qu’il se laisse fasciner par la séduction des signes. Il hésite toujours entre la parole insuffisamment soutenue par les signes dont il se sert et le silence où il se sent tombé dans une solitude absolue, pire que des mondes parisiens sourds à ses discours. La distinction entre les signes d’institution et les signes naturels, quoiqu’elle ne nous paraisse pas rare au XVIIIe siècle, joue un rôle considérable dans les ouvrages philosophiques et littéraires de Rousseau. Homme naturel, le citoyen de Genève s’oppose aux gens des sociétés et aux savants qui n’arrêtent pas de raisonner et de « philosopher » au lieu d’écouter des mouvements produits dans nos passions et de sonder notre âme dont la profondeur n’est jamais encore touchée. Rousseau suppose donc la priorité et la primauté des signes naturels sur les signes d’institution qu’il nous est forcé d’apprendre depuis l’établissement de la première société. Les signes naturels, exprimant immédiatement et spontanément des changements des états corporels, Rousseau déclare-t-il, s’approchent infiniment de la nature d’où nous nous sommes trop éloignés pour y retourner, et l’emportent en énergie et en beauté sur les signes didactiques qui tentent d’imiter à peine les opérations de l’esprit. Car ces signes primitifs et passionnels sont en eux-mêmes des chants, des musiques, des poèmes et des discours éloquents que ne savent jamais rendre les signes d’institutions.