Ce qui retient notre attention par rapport au Misanthrope, la plus grande comédie de Molière, c'est qu’il y a mêlé les portraits de mœurs de l’époque et de caractère, composés de structure fragmentée mais de traits variés et vifs, et l’intrigue d’amour des deux personnages principaux, motrice de la continuité dramatique, mais de fil ténue et souvent interrompue. On se demande alors comment il a envisagé de combiner ses deux composantes de construction narrative en essayant d’y intégrer leurs mérites, et d’éviter d’y laisser entrer leurs déficiences. Il est intéressant de noter que Molière opte, en tant que couple d’amour, pour les deux héros montrant des idées contraires sur la norme dominante du beau monde en but de surmonter les limites de construction juxtaposée, en mettant l’héroïne Célimène du côté des courtisans, qui attachent de la valeur à la sociabilité et aux intérêts, et, de ce fait. ont le faible pour la vanité et l’hypocrisie, et aussi en choisissant Alceste comme l’opposant des courtisans et l’amant de Célimène. De cette manière, le dramaturge, au cours de l’exposition, fonde la base de cohérence dramatique au niveau psychologique sur l’élévation de la tension dramatique et la mise en œuvre de l’évolution sentimentale entre eux. Le nœud de la pièce comique – les actes II, III, IV – s’attache à montrer l’agrandissement du conflit dans le couple d’amour, lié à la divergence de vues sur l‘honnêteté, noyau de la norme du monde et de son application pratique. En effet, Alceste est traité de trouble-fête par les fréquentés du salon et, d’ailleurs, d’incrédule tenace de fidélité par Célimène. Par contre, Célimène monte sur le trône de la reine du beau monde, après avoir remporté la victoire contre Arsinoé dans la dispute autour du sujet de la conduite féminine. Au contraste radical dans la réputation social entre les deux personnages principaux succède la perte des deux procès consécutifs, d’abord celui avec Oronte, causé par l’avis franc d’Alceste sur le sonnet d’Oronte, ensuite celui avec un adversaire politique qui se voit renforcé par sa cabale y compris Oronte et circule un 'livre abominable'contre Alceste. Il est amené à la catastrophe sociale et financière et sentimentale, car il s’expose à l’isolement politique, au paiement de l’amende énorme et à la nécessité d’ajournement de la négociation sentimentale définitive avec Célimène. La présence menaçante du monde hors-théâtral révèle le fait que le destin comique d’Aceste dépend non seulement de son caractère lui-même, mais aussi du décor social qui l’entoure. Le monde hors-théâtral intervient sous la forme fortuite mais répétée comme on voit dans les portraits en juxtaposition de mœurs et de caractère, ceci également en but de concrétiser l’envers des mœurs du temps et le comique de 'la constance dans l’inconstance’ dans l’évolution psychologique du personnage central au cours de la progression empêchée dans l’intrigue amoureuse de la pièce comique. Curieusement, c’est l’apparition d’Arsinoé, elle aussi personnage pénétré de la part du monde hors-théâtral qui fixe l’intrigue amoureuse, seul garant de la linérarité logique de l’action comique parce qu’elle jourera la revanche contre Célimène à travers la divulgation simultanée de ses billets d’amour adressés à tous les habitués du salon. Le dénouement de la pièce comqiue commence par la défaite injuste d’Alceste du procès intenté par l’adversaire invisible venu du monde hors-théâtral. En face des assauts ininterrompus du monde extérieur, autrement dit, de la société de cour qui englobe le salon de Célimène, Alceste fait preuve de la noblesse morale en réaffirmant sa position sociale fondée sur la sincérité et le courage, non par la fureur aveugle, mais en pleine conscience en dépit de son humiliation et frustration. Ce qui est intéressant de constater, c’est qu’Alceste arrive à persuader à son entourage l’iniquité de la nature humaine au cours des procès et, par ailleurs, l’infidélité de l’héroïne dans la scène du billet doux. Pourtant, Alceste ne réussit pas à amener l’intrigue amoureuse entre lui et sa coquette repentie à son issue heureuse puisqu’il s’obstine à l’obliger à racheter le mal du billet doux dans le désert. De la sorte, le personnage central se montre, en tant qu’amant, peu capable de la convaincre de l’indulgence qui"peut changer en attraits les défauts de la femme aimée"selon les termes A. Chouard, Annie Chouard, op. cit., p. 43. tandis qu’il mêrite, au plan social de sa vie d’ensemble, une appréciation équitable de l’intégrité de nature et de la distinction morale. La pièce comque se termine par l’union du couple Philinte-Éliante, au lieu de féliciter le mariage du coupe de l’intrigue amoureuse. Cette issue peu joyeuse du dénouement confirme à nouveau, malgré la forte influence narrative des caractères et de l’intrigue d’amour tardivement mise en place, la présence dominante de la peinture des mœurs du temps dans Le Misanthrope dans la mesure où le couplage des deux raisonneurs, voix officielles du dramaturge synthétise la satire des mœurs de l’époque, l’exploration profonde des défauts du caractère et l’idéal du style de vie dans la société de cour. En ce qui concerne Alceste, il révèle, en fin de compte, la primauté de son caractère sur son amour ou sur son intelligence à l’encontre de son discours initial dans lequel il prononce l’impuissance de sa raison contre sa passion. Il conviendra alors de souligner que sa faiblessee humaine liée au moralime rigoureux détermine sans appel la perte de son amour, son retraite au désert et, enfin, son retour au point de départ de sa vie dramatique qu’on peut estimer à la fois forcées et volontaires et comique et pathétique. En ce sens, la composition juxtaposée sera adoptée par le dramaturge pour mettre en œuvre les chocs en cascades d’Alceste contre les habutués du salon, son monde extérieur menaçant et son intérieur en agitation, alors que l’intrigue amourese sera pour lui au service de la concrétisation de son illusion aveugle de l’euphorie intime et de l’harmonie entre lui et Célimène, symbole de son monde, selon lui, en dégradation mais plein de charme. On peut conclure, dès lors, que la construction circulaire du Misanthrope de Molière met en forme le conflit insoluble entre le personnage Alceste et les mœurs du temps, tout en rehaussant sa densité comique dite fatale, dans laquelle les hommes sont foncièrement ridicules ou au moins comiques sans le savoir.