Dans ses Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand ouvre une grande page pour y insérer la vie de Napoléon, ce qui n'était pas prévu au départ de la rédaction de ses Mémoires. Nous sommes sous la monarchie de Juillet. La légende dorée de Napoléon née dès sa mort s'intensifie encore par l'achèvement des travaux de l'Arc de triomphe de l'Étoile et le retour des cendres de Sainte-Hélène, ce qui n'était que la panthéonisation de Napoléon 1er du 'Roi bourgeois' pour son profit. Face à cet enthousiame du public à l'égard de Napoléon, notre écrivain se décide, semble-t-il, à décrire tel qu'il était cet homme avec ses qualités mais aussi avec ses défauts pour une génération qui ne l'a pas véritablement connu et aussi pour la postérité. À vrai dire, ce n'était pas la première fois que Chateaubriand avait voulu inscrire la vie de Napoléon dans son oeuvre. Dans son oeuvre complète parue entre 1826 et 1831, nous pouvons suivre pas à pas notre écrivain réécrivant l'histoire de Napoléon, ce qui rejoint parfaitmement l'idée que son oeuvre complète sera "les preuves et les pièces justificatives" de ses Mémoires à venir et "une histoire fidèle des trente prodigieuses années". Mais ne nous trompons pas. Ce n'était pas une histoire telle que l'on peut la lire dans les Mémoires. Pour son oeuvre complète, l'écrivain apporte à ses écrits publiés jadis quelques suppressions, quelques ajouts(quoique minimes), et des explications à travers différentes préfaces qui ornent des tomes à propos de cet homme emblématique de son siècle. À travers ces remaniements, le portrait de Napoléon se dessine dans l'oeuvre complète de Chateaubriand non pas seulement comme étranger, usupateur, fou de guerre, dictateur... mais aussi comme celui en qui la France révolutionnée avait l'espoir et qui aurait pu achever la Révolution avec son précieux héritage, la liberté. Une belle page, restituer Napoléon dans le cours de l'hitoire s'ouvre dans le parallèle de Washington et Bonaparte inséré dans le Voyage en Amérique, suivie de très près par le parallèle de Cromwell et de Bonaparte élaboré dans les Quatre Stuarts. Tout n'aurait pas été possible sans la conjoncture heureuse de ce moment comme le remarque Chateaubriand : "La liberté m'a permis d'admirer la gloire."Dans les dernières années de la Restauration du moins pendant celles qui ont précédé la formation du gouvernement Polignac, la monarchie constitutionnelle - préconisée par Chateaubriand en tant que régime politique certes pas idéal mais constituant une meilleure solution pour le présent - semblait à ses yeux pouvoir trouver enfin son ancrage dans le sol de la France, surtout avec la liberté. C'est cet optimisme que respire l'oeuvre complète de Chateaubriand parue chez Ladvocat. Mais la crise politique de 1829 et 1830 et l'établissement de la monarchie de Juillet diront que ce n'était qu'une illusion. Dès lors le ton changera. Si dans son oeuvre complète il avait inscrit avec une certaine sérénité des morceaux de l'histoire de Napoléon, celle dans les Mémoires sera bien différente.