Ce travail présuppose la vision taoïste du héros Garine, dégagée à partir d'une poétique symboliste que notre précédente étude a révélée dans Les Conquérants. Attendu cette vision, nous appliquons à la structure discontinue du récit trois principales idées de la pensée chinoise : 1)changement infini du monde 2) Yin et Yang, deux grandes énergies ou rythmes dynamiques qui sont à l'origine de ce changement. 3) Tao, principe transcendant qui les préside. Les Conquérants sont construits en trois parties, la première et la troisième formant une symétrie autour de la deuxième. Chaque partie est composée d'unités discontinues participant à l'articulation du récit. Chacune d'elles étant signalée par une date ou un astérisque, il y a deux manières de l'articuler : l'une est temporelle et l'autre non temporelle. Les unités marquées de dates ou d'heures sont toutes directement liées au mouvement temporel de la révolution, tandis que celles en astérisque ne reflètent pas son changement ou avancement. Avec l'effet de suspens des unités en étoile, elles mettent en relief la transformation continue du monde révolutionnaire D'où se crée une esthétique du changement : la révolution change avec une certaine vitesse dans la première partie, se ralentit relativement dans la deuxième, vu la quantité de ses pages, et se déploie rapidement avec un rythme très dynamique dans la troisième. Mais sa tournure est très particulière, accusant un rythme irrégulier de la première partie à la troisième. Dans cette structure discontinue dynamique, la première partie du roman fait voir que l'antagonisme de yin et de yang entre deux puissances révolutionnaire et antirévolutionnaire entraîne le mouvement historique à une crise ultime. La deuxième partie orchestre sur le plan général le combat de ces deux puissances, mais aussi dans ce cadre global, elle met en scène un conflit soulevé à l'intérieur de la puissance révolutionnaire même, conflit surtout entre deux forces de yang et de yin représentées par Garine et Tcheng-daï. Ce combat finit par la victoire provisoire de la puissance de yang. le conflit restant en suspens. Dans la troisième partie, ce conflit ést résolu tôt et la lutte entre les deux puissances s'achève par la victoire définitive de celle de yang sur celle de yin. En outre, la vision taoïste de Garine se trouve encodée dans des unités où se déroule son action, ce qui permet déduire que "l'homme", titre de cette partie centrée sur le héros, est l'homme modelé par la philosophie taoïste. C'est le Tao qui en tant que Réalité transcendante, préside sur la dimension du Yin et du Yang ce schème du combat et du conflit. Il est symbolisé par un paysage de montagnes de rivières de l'éternelle Chine. Ce paysage inhumain apparaît entre deux villes qu'on peut classer l'une du côté du Yin et l'autre du celui du Yang : Hongkong submergée dans l'obscurité et Canton émergeant dans la lumière. Bref, la structure discontinue du récit dans Les Conquérants matérialise une conquête artistique de la philosophie taoïste, voire une esthétique du changement. Elle s'accorde parfaitement avec la vision du héros Garine, ce qui engendre une unité harmonieuse du contenu et de la forme.