L'Histoire en tant qu'idée absolue est un produit de l'époque moderne.
Les intellectuels de l'époque qui croyaient au progrès attachaient une grande importance à l'Histoire. Or la croyance en l'Histoire commence à s'ébranler au XIXe siècle avec la naissance du roman historique. Dès lors, la littérature et l'histoire ne se séparent pas distinctement : “les historiens et les romanciers se lisent mutuellement.” Car, pour retrouver les souvenirs oubliés dans l'Histoire, la fiction et l'imagination se révèlent indispensables.
Au début du XXe siècle, l'Ecole des Annales, s'opposant à l'histoire traditionnelle, ne se limite plus aux seuls aspects politique, militaire ou diplomatique; ce courant essaie plutôt d'écrire l'histoire en comblant les champs inconnus et négligés, à l'aide de la fiction. Enfin, l'idée du Post-modernisme influence la science historique. Tous les événements ainsi que toutes les activités humaines prennent leur importance dans l'histoire.
Dès lors, l'Histoire n'a plus de sens absolu mais se divise en histoires.
Loin de Médine est le récit des femmes aux premiers temps de l'Islam.
Les femmes, qui ont existé à tout moment, ont été exclues dans l'Histoire écrite par les hommes-historiens. Assia Djébar essaie ainsi de redonner vie à ces femmes effacées dans l'Histoire. Assia Djebar, romancière-historienne algérienne rencontre les femmes qui ne percent les textes des chroniqueurs qu'en arrière-plan. Elle insiste sur la vérité et la sincérité de son livre en énumérant quelques noms d'historiens des premiers siècles de l'Islam,comme Ibn Hitcham, Ibn Saad, et Tabari. C'est à partir de la lecture de ces historiens que Djebar commence à écrire ce livre. A côté de ces illustres noms, les personnages cités dans le livre ont réellement existé dans l'histoire et prouvent encore la véridicité de son livre. Cependant Loin de Médine est un roman et non pas un livre d'histoire, comme l'auteur le souligne dans son avant-propos. Djebar ne cherche donc pas à corriger l'Histoire pour la réécrire, mais elle suit les traces des grands historiens pour essayer de réécrire les histoires basées sur ces traces. Là, la fiction se révèle nécessaire pour combler les carences de la mémoire collective. Assia Djebar, lisant les histoires des hommes chroniqueurs, restitue donc par la fiction, l'histoire des femmes oubliées. L'écrivain rend ainsi la voix aux femmes qui avaient été condamnées au silence.
Lisons maintenant le texte de Djebar. Les premières phrases du Prologue,“Il est mort. Il n'est pas mort.” anticipent le désaccord et la lutte entre les musulmans. C'est un conflit qui n'en finit pas, même de nos jours, 14siècles après la mort du Prophète : la lutte entre les sunnites et les chiites perdure. Si les premières phrases du Prologue sont significatives, les mots de l'Epilogue, la “parole plurielle, parole duelle” et la “parole double”, ne le sont pas moins. En effet, la parole duelle est représentée tout d'abord, par la parole de la contestation, celle de Fatima, la fille aimée du Prophète, et ensuite, par la parole de la transmission, celle d'Aïcha, l'épouse aimée du Prophète. Fatima qui dit ‘non’ à Médine, la ville symbolique du pouvoir dominant, se révolte à tout pouvoir et la voix de Fatima perdurera dans son sillage et dans les pays musulmans. A l'opposé de Fatima, Aïcha, l'épouse bien aimée, celle du pouvoir, se remémore et transmet les souvenirs “de ce qui risque de paraître poussière.”Or la parole de la contestation et la parole de la transmission, qui sont àl'opposé l'un de l'autre, finissent par se réunir en une parole. C'est ainsi que la parole duelle se transforme en parole double. Assia Djebar rêve la future Aïcha qui décide de quitter Médine pour retrouver la jeunesse révoltée. Nous comprenons alors la signification du titre du roman, “loin de Médine”. Non seulement la fille du Prophète qui résiste au pouvoir, mais aussi son épouse qui représente le pouvoir politique rêvent de quitter Médine. Toutes deux, acquièrent la liberté en s'éloignant du monde des hommes qui déforment la parole du Prophète.
On ne pourra pas nier qu'Assia Djebar est une femme écrivain féministe,du fait qu'elle revendique la liberté des femmes opprimées dans la sociétémusulmane. Or le féminisme d'Assia Djebar ne peut être comparé au féminisme des pays occidentaux. Elle n'oppose pas l'émancipation des femmes à l'Islam. Elle “refuse le refus de la propre culture” et exige la liberté des femmes inscrite dans les lois islamiques. Elle remonte aux premiers temps de l'Islam et se donne, à son tour, la mission de ‘rawiya’, la transmetteuse, pour témoigner les histoires des femmes occultées. Ainsi,Assia Djebar, par une nouvelle écriture de l'histoire, se remémore l'Islam d'origine pour retrouver le sens d'origine de l'Islam et pour conférer aux femmes d'aujourd'hui la force de lutter dans une société misogyne.